Communication des bulletins de salaire de collègues masculins afin de vérifier une inégalité de traitement entre les sexes
Il peut être difficile pour les salariés d’accéder à des preuves lorsqu’ils tentent d’établir des cas de discrimination ou d’inégalité de traitement envers leurs collègues. Cette difficulté est souvent due au fait que les seules preuves disponibles peuvent potentiellement porter atteinte à la vie privée des parties impliquées. Dans ces situations particulières, il est important de déterminer jusqu’où le juge peut aller pour articuler le droit à la preuve et le respect de la vie privée. La Cour de cassation a récemment abordé ces questions importantes dans un arrêt en date du 8 mars 2023 (Cass.soc.08.03.23, n° 21-12492).
Le contexte :
Depuis 2009, une salariée travaillait pour une compagnie d’investissements financiers et avait occupé plusieurs postes au fil des ans, notamment celui de responsable projets transverses au sein d’une filiale du groupe de 2013 à 2017, puis de directrice stratégie et projets groupe dans l’entreprise elle-même à partir de janvier 2017. Cependant, en 2019, elle a été licenciée.
La salariée pense avoir été victime d’une inégalité salariale en comparaison de certains de ses collègues masculins qui avaient occupé le même poste de COO. Elle envisage donc de saisir le juge pour faire valoir ses droits, mais elle doit d’abord prouver cette inégalité salariale en disposant de suffisamment d’éléments de preuve.
Dans cette optique, la salariée a décidé de saisir le conseil de prud’hommes en référé, demandant la communication d’éléments de comparaison détenus par ses deux employeurs successifs, en vertu de l’article 145 du Code de procédure civile.
Que prévoit l’article 145 du CPC ?
Cet article permet à toute personne de demander au juge, sur requête ou en référé, et avant tout procès, d’ordonner les mesures d’instruction nécessaires en vue de conserver ou d’établir la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d’un litige.
Attention : pour être acceptée, cette demande doit reposer sur un motif légitime !
Le juge des référés a considéré que la salariée avait un motif légitime pour demander la communication des bulletins de paie de huit de ses collègues pour les périodes 2013-2017 et 2017-2019. En conséquence, il a donné suite à sa demande et a ordonné aux employeurs de fournir ces bulletins de paie, sous astreinte, en occultant les données personnelles, mais en incluant les noms, prénoms, classifications conventionnelles, rémunérations mensuelles détaillées et rémunérations brutes totales cumulées par année civile.
L’argument de l’employeur :
L’employeur s’y est opposé en invoquant le droit au respect de la vie privée et à la protection des données personnelles des salariés dont les bulletins de salaire étaient réclamés.
La Cour de cassation a rejeté cette argumentation en rappelant que :
« Le droit à la protection des données à caractère personnel n’est pas un droit absolu et doit être considéré par rapport à sa fonction dans la société et être mis en balance avec d’autres droits fondamentaux, conformément au principe de proportionnalité ».
Elle considère à ce titre que :
« Le droit à la preuve peut justifier la production d’éléments portant atteinte à la vie personnelle à la condition que cette production soit indispensable à l’exercice de ce droit et que l’atteinte soit proportionnée au but poursuivi ».
Cette décision est d’une grande importance et utilité, car elle met en lumière le fait que la question de l’égalité de rémunération entre les hommes et les femmes est encore loin d’être résolue.